CERISE SUR LE WATTEAU. PAR GILLES MARTIN-CHAUFFIER
Paru dans Match
Dans son nouveau livre, Emmanuelle de Boysson fait revivre avec panache la Régence. Un roman de cape et d’été, entre Couperin, Watteau et Marivaux.
La chronique de Gilles Martin-Chauffier – Paris Match
En France, il est toujours un peu mal vu d’être fier de notre passé. On ne cesse de regarder l’avenir dans le rétroviseur et de hanter les musées mais avec une légère honte. Le mot « héritage » tourne les sangs des survivants de Mai 1968. On n’ose pas fêter Austerlitz, du XVIIIe siècle on ne retient que le commerce du bois d’ébène, on dirait que Pétain a dirigé la France depuis Clovis jusqu’à Sarkozy. Même si aucun pays n’a un passé aussi flamboyant que le nôtre, aucun ne se contorsionne autant pour le célébrer.
Surtout ne pas oublier de rappeler que Saint Louis était antisémite, Louis XIV sexiste, Voltaire esclavagiste… Les névroses branchouilles font la loi. D’où l’enchantement qui nous prend à la lecture du dernier roman d’Emmanuelle de Boysson. Enfin une page d’histoire éblouissante pour la France et irréprochable aux yeux des grenouilles de bénitier de la gauche divine. Son héros : Watteau, ce peintre exquis qui a croqué notre pays en négligé, au saut du lit, désarmant de gentillesse et de bonheur. Chez lui, tout sourit, chuchote, s’amuse, frémit, soupire, babille, charme, taquine, caresse et gazouille. On se promène dans une France féerique, celle dont Talleyrand disait : « Qui n’a pas connu la France avant 1789 ignore ce qu’est la douceur de vivre. »
UN ROMAN STENDHALIEN DECAPE, D’ÉPÉE ET DE CONSPIRATION
Les rayons du Roi-Soleil se sont éteints. A la fin de son règne, il n’y avait plus qu’une force, celle de l’habitude. Installé dans sa gloire comme un gros chat dans son panier, Louis XIV n’était plus qu’ornemental. A présent, la société ressuscite. C’est le régent qui gouverne, Philippe d’Orléans, un libertin auquel la rumeur prête mille maîtresses, dont sa propre fille. Qu’importe qu’il soit d’un cynisme à faire tomber les dents, Paris respire à nouveau et donne à ce merveilleux XVIIIe siècle et à son rêve de civilisation détendue un élan qui va fasciner le monde entier.
Marivaux « pèse des œufs de mouche dans une balance en toile d’araignée », les notes de Couperin tintent comme les hochets des anges, la mode et les meubles lancés par la Cour envahissent l’Europe et, génie des génies, Watteau compose le grand air du bonheur de vivre d’un pinceau tendre, liquide et doux comme le miel. Les nuques se plient, les mèches s’échappent, les baisers s’envolent, les jambes se frôlent, les lèvres s’écartent, les mains se cherchent… Tout n’est que fraîcheur, pudeur et langueur. Du moins sur la toile car, dans le roman d’Emmanuelle de Boysson, tout ce rêve idyllique sert de cadre à un roman stendhalien de cape, d’épée et de conspiration. Saint-Simon s’en mêle, on assiste aux fêtes puis aux complots de la duchesse du Maine, le prince de Cellamare, ambassadeur d’Espagne, tend ses filets et John Law ratisse les fonds de la noblesse tandis qu’à l’Académie de peinture les pinceaux s’affûtent comme des claques.
Quand Watteau occupe les pages, on entend souffler l’air, clapoter l’eau, passer les nuages et glisser la lumière. Lorsqu’il s’en éloigne, c’est l’Histoire qui se faufile dans le récit et transforme son roman d’amour en intrigue politique. Superbe.
Un grand merci, cher Gilles, de m’avoir fait découvrir ce remarquable roman. Epoque, style, idées, il est un condensé de ce que j’aime. Elegance de la narration et souci du détail, sa lecture est une joyeuse revanche sur l’esprit du temps.
merci, très touchée que vous aimiez ma Marquise cher Jean-Pierre.