Emmanuelle de Boysson : « Je me sens très proche de ce siècle plein de panache, j’ai dû y vivre dans une vie antérieure ! »
Après Le Salon d’Émilie et La Revanche de Blanche, deux romans à succès publiés chez Flammarion puis dans la collection de poche de J’ai lu, vient de paraître Oublier Marquise, troisième volet du « Temps des femmes », trilogie à laquelle Emmanuelle de Boysson se consacre depuis trois ans pour notre plus grand bonheur.
— Ces romans peuvent se lire séparément mais il existe une ligne, un fil conducteur entre eux. Quels sont les points communs entre ces trois générations de femmes que vous croquez avec tant de gourmandise ?
Émilie, Blanche et Marquise sont trois artistes. La première tient son journal et le publie sous forme de roman ; la seconde est comédienne, la troisième, peintre ; elles tentent de réussir dans un monde dominé par les hommes. Ambitieuses, elles s’avèrent impulsives, impatientes, naïves. Trop confiantes, désireuses de plaire, de faire plaisir, elles tombent dans des pièges, ne soupçonnent pas que, dans l’ombre, on les jalouse, on médit, on trame… Emilie, la Bretonne, réussit à s’introduire dans les salons parisiens parmi une noblesse arrogante et intimidante (un peu comme dans le film Ridicule). Blanche, sa fille, tente de devenir une star du théâtre, Marquise, née de ses amours avec le roi, désire être un peintre reconnu. Mes héroïnes ont aussi une revanche à prendre. Emilie veut qu’on oublie sa condition de roturière. Blanche cherche à rétablir l’honneur de sa mère bannie des salons. Marquise se venge des humiliations que lui a fait subir le Régent. Au fil du temps, elles dépasseront leurs rancoeurs, grâce au succès et à l’amour. Ces aventurières sont aussi de grandes amoureuses… Elles aiment le risque, le défi, la transgression.
— Pourquoi avoir situé l’action au XVIIe siècle ?
J’adore ce siècle. J’avais publié L’Amazone de la foi, la biographie romancée de Madeleine de La Peltrie partie convertir les « sauvages » en Nouvelle-France. Au départ, j’ai voulu entrer dans les salons littéraires des Précieuses, ces lettrées pas si ridicules, qui recevaient dans leur ruelle. Un peu comme notre petite bande d’amies du Prix de La Closerie des Lilas ! J’ai découvert que ces lettrées, un peu pédantes, étaient des pionnières, des amazones de la Fronde, très romanesques. Le XVIIe siècle est celui de Molière, de Racine : rien de plus passionnant que de recréer la vie des troupes de théâtre, les coulisses, l’ambiance des spectacles. De faire revivre Poquelin, ses amours, sa famille. Racine, l’ambitieux, la Champmeslé… Comme Blanche, j’ai été comédienne et j’ai pris beaucoup de plaisir à décrire son jeu, ses peurs, la drôlerie des pièces de Molière…. Et bien sûr, la Cour, avec ses personnages hauts en couleur : les maîtresses du roi, la Palatine, la Maintenon… le vieux Paris, les mets, la médecine, les odeurs, les petits métiers… Je me sens très proche de ce siècle plein de panache, j’ai dû y vivre dans une vie antérieure !
— Salons littéraires, milieu théâtral, milieu pictural, chacune de vos héroïnes évolue dans un univers artistique. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces parcours de femmes à la sensibilité si particulière ?
Leur évolution. Elles ne sont pas très sûres d’elles, mais elles sont portées par une force intérieure, guidées par une étoile. Elles traversent mille difficultés, sont entraînées dans des intrigues, des manœuvres comme celles de la Montespan, l’impétueuse maîtresse du roi. Elles gardent leurs racines bretonnes : fières et têtues ! Elles finissent par s’accepter comme elles sont, à croire en elles, à se protéger. A apprendre à aimer. Emilie est folle de son poète dont elle a une fille. Blanche tombe amoureuse de trois hommes avant de s’attacher à un vrai chevalier. Marquise a une dizaine d’années de plus qu’Antoine Watteau : il lui faut de la patience pour tolérer ses absences, son caractère, sa maladie. Elle l’accompagnera jusqu’à sa mort, à 37 ans. Une passion qui se mue en amitié amoureuse.
— Le roman historique est un genre difficile dans lequel vous excellez. Pourquoi ce choix littéraire ? Quels sont les écueils à éviter, selon vous ?
C’est gentil ! A l’origine, j’ai répondu à la proposition de mon éditeur, Guillaume Robert. Je ne savais pas si je réussirais. J’ai écrit un synopsis, puis très facilement, quatre chapitres. Encouragée par mon éditeur, je me suis sentie à l’aise dans ce genre. J’écris comme dans un roman contemporain. J’évite d’ennuyer le lecteur avec trop d’éléments historiques, je glane, je saupoudre, je m’amuse.
— Ce type d’ouvrages nécessite des recherches approfondies. Y a-t-il un temps bien défini pour la documentation et un temps pour l’écriture ou les deux activités, loin d’être scindées, sont-elles imbriquées ? Comment passez-vous de l’une à l’autre ?
Je commence toujours par la doc, une chronologie mois par mois de la période que je traite, j’y reviens, je picore, je vérifie, je passe de l’un à l’autre, je me sers de détails qui recréent une ambiance. Je suis assez maniaque et précise. Je corrige et recorrige dix fois mon texte. J’allège, je coupe ce qui me paraît lourd, ennuyeux. Je suis mon instinct, mon bon plaisir. J’ajoute des touches d’humour, je me moque de mes personnages, surtout dans les situations dramatiques.
— Avez-vous en préparation un nouveau projet littéraire du même type que cette trilogie ? Un autre siècle, d’autres femmes que vous souhaiteriez mettre à l’honneur ?
Pour l’heure, je n’ai pas de projet. La tentation est grande de poursuivre cette série avec Clarissa, la fille de Marquise : cette musicienne est une belle garce ! Une personnage à la Scarlett O’Hara qui se ferait guillotiner !J’ai aussi envie de revenir à un roman contemporain, il suffit d’attendre que le sujet s’impose, comme une nécessité.
Propos recueillis par Cécilia Dutter (avril 2013)
© Photos : David Ignaszewski-Koboy
Emmanuelle de Boysson, Le salon d’Émilie, J’ai Lu, 410 pages, 7,60 €, La Revanche de Blanche, J’ai Lu, 443 pages, 7,60 €, Oublier Marquise, Flammarion, avril 2013, 21,90 €
> Lire également l’entretien réalisé par Cécilia Dutter à l’occasion de la parution du deuxième volume de la trilogie, La Revanche de Blanche et l’entretien réalisé par Claude-Henry du Bord à l’occasion de la parution de Oublier Marquise.