Georges Izard, avocat de la liberté

1903- 2003 ANNIVERSAIRE DU CENTENAIRE DE SA NAISSANCE

Petite-fille de Georges Izard, Emmanuelle de Boysson, retrace la vie de cet avocat, humaniste engagé, défenseur de la liberté. Fils d’un instituteur d’un village près de Béziers, le jeune homme monte à Paris, tel Rastignac. En khâgne, il côtoie Jean-Paul Sartre, se lie à Pierre-Henri Simon, se convertit au christianisme. Son amitié avec Jean Daniélou, son admiration pour Péguy le conduisent à fonder la revueEsprit avec Emmanuel Mounier. Il épouse Catherine Daniélou, se lance dans la politique, crée la Troisième force, publie « Où va le communisme ? », un acte de foi en la liberté humaine face au matérialisme. Le député du Front populaire s’engage dans la résistance, est fait prisonnier. Après la guerre, il choisit le barreau. En 1949, il défend le dissident Victor Kravchenko. Le procès révèle au monde entier les dérives du stalinisme : les goulags, les purges, la famine organisée en Ukraine… Les intellectuels restent aveugles. Aux côtés de François Mauriac, l’avocat devient l’artisan de l’indépendance du Maroc. Défenseur des grands de ce monde : Mitterrand, Mohammed V, Claudel, les Rothschild, l’architecte Pouillon ; de journaux comme Le Figaro ou L’Express, l’auteur de« Sainte-Catherine de Gênes », traverse les grands événements de son temps. L’auteur mêle souvenirs et témoignages pour brosser le portrait d’un esthète, écrivain, philosophe, académicien, un de ces derniers grands avocats qui marquèrent le siècle. Un homme qui a choisit la liberté.

Le livre, d’une phrase : A travers une évocation émouvante de son grand-père Georges Izard, Emmanuelle de Boysson retrace la vie de ce grand avocat défenseur de la liberté : de la création de la revue Esprit, à ses positions politiques anti communistes, de sa défense du dissident Kravchenko à son combat pour l’indépendance du Maroc, Georges Izard traverse le siècle en homme de foi.

– Trilogie familiale : Après le « Le cardinal et l’hindouiste ou le mystère des frères Daniélou » parue en 1999 chez Albin Michel, Izard et « le secret de ma mère ». Le cardinal Daniélou et Alain, l’hindouiste sont mes grands-oncles. Izard, ami de Daniélou est donc son beau-frère, gendre de Madeleine Daniélou. Dans le Figaro, Pierre Chaunu conclut ainsi son article à propos de ce livre : « On lit pour le plaisir. On reçoit une meilleure compréhension de notre présent. Emmanuelle de Boysson ne pourra refuser la suite dont nous sommes impatients. » La suite, la voilà.

– Georges Izard est mon grand-père. J’ai voulu l’évoquer de façon personnelle,comme une enquête très vivante d’une petite fille sur les traces de son grand-père. J’ai recueilli de nombreux témoignages d’amis comme Maurice Druon, d’avocats comme Jean-Denis Bredin… Retrouvé sa correspondance, son village natal…  Il était d’un village de l’Hérault, Abeilhan, près de Béziers.

– Izard a traversé le siècle, ses passions intellectuelles, était à la croisée de nombreuses personnalités : Mauriac, Claudel, Mitterrand. Un des plus grands avocats du barreau, très admiré par Kiejman et Bredin pour son charisme, son éloquence et la rigueur de ses plaidoiries. Il possédait la voix chantante des méridionaux, bp de charme. Homme de lettres, homme politique, avocat, je voudrais montrer ce qui fait l’unité de cœur et d’esprit sa vie : le combat contre l’injustice, pour la liberté d’un homme qui ne supportait ni le mensnge ni l’oppression. Défenseur des hommes, des causes perdues, il est  guidé non seulement par des convictionsmais par une foi secrète, une quête, née après une conversion de jeunesse qu’il taira jusqu’à la fin.  Je montrerai qu’Izard est adversaire de la pensée unique ; il avait subi le totalitarisme qui écrase la personne, il ne supporte pas le mensonge idéologique. Il agira souvent en cavalier seul, pas politiquement correct.

[accordian]
[toggle title= »Homme de lettres, humaniste engagé » open= »no »]Homme du peuple, Fils d’un instituteur, Izard est d’origine modeste, de grands parents vignerons. Il naît le 17 juin 1903 à Abeilhan dans l’Hérault à quelques kilomètres de Béziers, au Café Portal, dans la maison maternelle. De famille protestante, son père possède cet esprit laïque, idéal de droiture et de générosité. Il fréquente l’école primaire du village dont son père est directeur. Cet hussard noir de la République représente cette force intellectuelle, morale et civique qu’a constituée au début du siècle le corps des maîtres de l’enseignement primaire. Georges dira de lui : « Il était mon honneur, mon témoin, mon juge, ma récompense ». Au lycée Henri IV à Béziers, il devient l’ami de Jean Moulin. Grâce à une bourse, il monte à Paris, co-disciple à Louis le Grand en khâgne avec Jean-Paul Sartre et Pierre-Henri Simon, il se passionne pour la philosophie, présente un mémoire de philosophie, en 1922, il prépare l’Ecole Normale Supérieure. Echec. Il est juste admissible. Il commence ses études de droit. Sa conversion sous l’influence de PH Simon. Il écrit, à propos de son père : « C’est toi qui m’a traîné jusqu’à Dieu, obstinément, jour après jour, par des progrès insensibles. » Ami de Jean Daniélou, il fait la connaissance de la famille : Charles, Louis, Alain et il épouse Catherine Daniélou. Dans l’atmosphère bouillonante des années 30 et d’indécision politique ( montée de l’extrême gauche et du colonel de la Roque, tentation anti parlementariste) des intellectuels cherchent des solutions aux maux de leur époque. Certains sont tentés par le communisme, d’autres, comme Georges par une troisième voie. La droite traditionnelle ne leur apporte pas de réponse, elle verra son accomplissement historique avec la victoire de Pétain. Cette 3 e voie est non communiste, veut réformer la société de l’intérieur. Dans la mouvance des idées de Charles Péguy dont il écrit La pensée de Charles Péguy, un petit noyau d’intellectuels dénonce le désordre établi, le règne de l’argent, rêve d’un nouvel humanisme qui réconcilierait l’idéal de l’Evangile et le socialisme. Ils fondent en 32 la revue Esprit avec Emmanuel Mounier avec André Deléage, des collaborateurs comme Etienne Borne, Maritain, Pierre Henri Simon. Aventure passionnante pleine de rebondissements ; recherche de fonds, d’éditeur, les prestigieuses plumes, les divergences… De l’homme de lettres, j’évoquerai les nombreux essais qu’il écrivit à « l’Homme est révolutionnaire »en 45, critique fondamentale du marxisme. « Viol d’un mausolée » qui démasque le mensonge de la déstalinisation. « Les classes moyennes » un des premiers à voir l’émergence de la classe moyenne. ». : Les coulisses de la convention, un essai historique où la période la plus dramatique de la Révolution.[/toggle]
[toggle title= »Homme politique » open= »no »]il a une intuition politique : que le communisme est totalitaire, que les droits de la personne sont capitaux, à commencer par « Où va le communisme », en 36 il dénonce la pensée communiste sous l’influence de la politique de Staline, plus tard il verra que le régime de De Gaulle ne pouvait apporter que de la déception. Il ne fait pas de compromission. 1926 Son passage au cabinet de son beau-père Charles Daniélou aux côtés de Saint John Perse et Jean Giraudoux, lui a donné la fibre politique. Il devient chef de cabinet du ministre de la Marine marchande, Charles Daniélou. Charles, rouge en Bretagne, rose à Paris, est Président de la gauche radicale. Auprès de cet ami de Briand, républicain de bonne souche, il retrouve les orientations politiques de ses origines. Après la fond d’Esprit, Mounier ne veut pas instrumentaliser la revue, changer l’homme et non se mêler de politique, Izard pense que la seule manière de vivre ses idéaux est de s’engager en politique : il s’éloigne donc de Mounier pour créer la troisième force qui rassemble des forces populaires non communistes, puis rejoint le Front populaire, appelé d’abord front commun contre le fascisme, avec Gaston Bergery. Izard écrit dans son journal La Flèche. Sous sa bannière, il se fait élire député en Meurthe et Moselle, à Briey, face au maître des Forges, François de Wendel. Au nom de son idéal, il s’engage volontaire en 39, puis dans la résistance sous couvert de l’OCM, ( organisation militaire et sociale) Il est arrêté en 43, fait prisonnier à Fresnes. A la libération, il devient le secrétaire général de l’OCM, la représente dans la première assemblée consultative. Il rêve de fonder un grand parti travailliste, échoue. Après la guerre, convaincu que la France a besoin d’une restauration du droit après les excès d’une justice improvisée, lassé par la politique, il choisit le Barreau à la politique.[/toggle]
[toggle title= »Les grands procès. » open= »no »]Le procès Kravchenko procès capital de ce siècle. Bien avant Soljenitsyne, K est un des premiers à dénoncer les goulags. Ce procès montre avant tout l’aveuglement des intellectuels. A la libération, l’Europe a une dette envers l’Union soviétique qui a soutenu les alliés pour vaincre les nazis,. l’Urss a donc une telle aura, un tel prestige que la gloire rejaillit sur les communistes. Il est donc impensable que K puisse dire la vérité ; que dans ce paradis russe, on ne puise concevoir des camps. Et pourtant, un homme l’a dite, cette vérité, aux yeux du monde, de la presse, dans le pays qui était pour lui celui de la liberté. En 1949, au sortir de la guerre, un homme, dissident soviétique, Victor Kravchenko, a dit la vérité sur le stalisnisme. Aucun des intellectuels français, ni Sartre, ni Merleau Ponty, ni Camus n’ont voulu le croire. Ce haut fonctionnaire envoyé en mission aux Etats-Unis, il s’échappe, se terre, et écrit un best seller, vendu à 5 millions d’exemplaires, traduit en 22 langues: « J’ai choisi la liberté ». Il y raconte de l’intérieur sa vie en URSS les purges, la famine organisée en Ukraine, la dékoulakisation, le goulag… Le PC attaque par le biais des lettres françaises journal communiste fondé par Aragon. L’article diffamtoire est signé Sil Thomas dont in découvrira qu’il n’existe pas. Le papier traite Kravchenko de traître, d’ivrogne, pour eux le livre est écrit par la CIA. Leur ligne de défense sera de prouver qu’il est bien un traître, n’a pas écrit son livre. La stratégie d’Izard est de prouver que Kravchenko dit vrai, qu’il est l’auteur de son témoignage. Je raconte ce procès hallucinant : le mystérieux Sim Thomas derrière lequel se cache André Ulmann rédacteur des articles diffamants. Un vrai thriller où face à des généraux soviétiques, des savants comme Joliot Curie, des écrivains comme Vercors ou Louis Martin Chauffier, Jean Cassou Garaudy, Pierre Cot, socialiste du cabinet Blum, on voit arriver des paysans russes, ouvriers, personnes déplacées… Izard ne trouve aucun témoins ni Kessler, ni Druon, ni Mauriac. Face aux témoins, les communistes ricanent, s’acharnent à détruire les arguments de la partie civile avec mauvaise fois. (les camps sont inconcevables)… Accuse K de complots avec la CIA: Izard et Kravchenko seraient des agents ! Toute la machine à démonter un homme. Nina Berberova prend des notes pour la pensée russe. Des coups de théâtre comme l’arrivée de l’ex femme de Kravchenko à l’émotion comme le témoignage de Margaret Buber Neumann livre par les soviétiques aux nazis, tous témoignent de la barbarie. J’ai même rencontré l’avocat communiste Joë Nordmaann ! Un procès passionnant mais terrible : Izard est seul, les attaques le blessent, il trouve répartie, preuves et oriente le procès vers celui du régime stalinien. Un premier livre noir du communisme. La semaine dernière le Monde a sorti tout un dossier sur Staline, 50 ans après. Si Izard gagne de justesse, le procès ne convainc pas l’opinion public. Il faudra attendre le grand déballage de Kroutchev pour que la vérité apparaîsse. Suicide de K en 61. La gloire. On se presse à la porte du cabinet d’Izard, il plaide dans toutes les grandes affaires civiles ( peintres, écrivains, banquiers, hommes politiques, grands de ce monde, tous ceux qui détiennent le pouvoir : pouvoir économique, politique, culturel, tous sollicitent l’honneur d’être défendus par lui. La chance est d’arriver le premier, avant l’adversaire.) Izard prépare ses dossiers, reçoit, plaide. Il ne fait rien comme les autres. Pas la moindre agitation. Pas de coup de téléphone pendant les rendez-vous. Une seule secrétaire, Mlle Rose, que nul ne rencontre jamais. De rares collaborateurs : Alpert, Espinosa, Jean Foyer, Mme Trouvat. Son cabinet, c’est en apparence le monde du calme, de la réflexion solitaire, des longues méditations. En fait il cache ses angoisses : il travaille des nuits entières, réécrit trois fois des conclusions. Izard continue le même combat, défend d’autres dissidents dans le procès de l’internationale des traîtres. ( il soutient trois accusés politiques slaves que Renaud de Jouvenel a accusé de traîtres à leur partie par ce qu’ils avaient fui le régime. En 52, il accepte de défendre le député Antoine de Récy, dans l’affaire des Bons d’Arras : cent millions de Bons du trésor ont été volés à Arras. Izard réussi à convaincre son client d’avouer sa culpabilité en public afin qu’il obtienne les circonstances atténuantes. En 52, il défend à Tunis 28 manifestants du néo destour, menacés de peine de mort pour avoir incendié un tramway que l’on disait occupé par des voyageurs. Or, Izard, après une longue enquête s’aperçoit qu’il était vide. Aux côtés de François Mauriac il combat pour l’indépendance du Maroc dans l’association France Magreb où il se montre anticoloniste. On se souvient des articles de Mauriac ds le Figaro. En fait, il est très seul dans la défense du peuple marocin à l’autodétermination. Izard devient l’avocat, conseiller du roi Mohammed V. Je raconte ses visites à Madagascar où le roi est exilé, et son retour triomphal, à Rabat. Izard reste fidèle à sa ligne : avocat de Mitterrand, au moment de l’affaire de l’Observatoire dont je donne un éclairage. Il devient l’avocat civiliste très demandé plaide dans de grandes affaires. Il défend Claudel dans l’affaire Mauras-Claudel. L’architecte Pouillon, accusé d’un gigantesque scandale de l’immobilier, les architectes de l’affaire du boulevard Lefèvre, l’affaire Lacaze-Walter, une histoire policière incroyable, les Rothschild face à Roger Peyrefitte qui les calomnie ds son livre Les juifs, la grande presse, Figaro, Express, France-soir : JJSS, Françoise Giroud, peintres Picasso pour le livre de Françoise Gilot, son ex femme. (les héritiers Bonard, Rouault, Vollard), banquiers, hommes politiques… et tant d’autres. (Défense de Mendès –France, Albin Chalandon, Banque de Paris et des Pays-Bas, Coca cola,) Roger Martin du Gard, Floriot à propos de déclarations ds Minute au moment de l’affaire Ben Barka…)[/toggle]
[/accordian]

Anti communiste jusqu’ai bout, il tentera de dissuader Mittérrand au moment du programme commun.

Pour évoquer l’avocat, j’ai rencontré Geroges Kiejman, Jean-Marc Varrault, mais je laisse parler son élève Jean-Denis Bredin

« Je le vois au Palais, prêt à plaider. Son talent, c’est d’abord sa présence. Il est calme et souverain. La souveraineté, c’est sa nature. Le calme, c’est sa conquête : ses angoisses, sa timidité, son pessimisme même, il a décidé de les maîtriser. Autour de lui, les gens de Justice ont l’air brouillons et légers. Sitôt qu’il est là, il est le point fixe. Il amarre l’audience. Il avance, clair, précis, méthodique, n’éludant jamais une difficulté, conquérant tout le terrain d’un travail lent et régulier. Mais il y mêle la chaleur retenue des grands orateurs du sud-ouest. Sa voix roule comme un torrent. Comme un torrent elle emporte. Au moment même où il paraît ne s’adresser qu’à la raison, il appelle l’émotion. Le mot est pour la tête, mais la voix parle au cœur. »

Tous ses essais réflètent ses positions d’homme libre comme en témoigne sa « lettre affligée au Général de Gaulle » pamphlet dans lequel il exprime sa déception envers l’homme du 18 juin. Humaniste, mystique, son livre sur« Sainte Catherine de Gênes » ( l’idée essentielle de Catherine de Gênes est celle d’un accomplissement commencé ici-bas, mais qui s’achève au-delà de la mort) lui ouvre les portes de l’Académie Française ( 1971). Il y retrouve pour peu de temps son beau-frère et ami le cardinal Daniélou et meurt, à 70 ans, en 73, avocat.

J’ai voulu comprendre, approcher ce grand-père, ce personnage romanesque, ambitieux, haut en couleurs, avec son côté grand Seigneur, son goût des honneurs, son train de vie. Ds son salon se retrouvent Zaher le roi d’Afghanistan, et Léo Frérré, anachiste devenu pour un moment royaliste, Kessel, Edmonde, Charles Roux, Jacques Duhamel, Roland Funck Brentano, Léo Ferré, Maurice Druon.Il aimantait ceux qu’il approchait Peut-on alors dire comme certains qu’il y avait des contradictions entre le fils spirituel de Charles Péguy, ami d’Emmanuel Mounier, homme de gauche antistalinien et le sage qu’il est devenu à la fin de sa vie ? Je ne crois pas puisque chez lui tout s’explique par une très grande générosité, une fidélité à sa foi, présente chez l’écrivain, le politique, l’avocat, il était un mystique secret que pouvait cacher son goût du bonheur de tous les instants, avec ce goût du jeu, des fêtes, de la vie… Il y avait en lui cet aspect mystérieux que je prenais pour lointain, qui était la réserve d’un homme habité qui s’appuyait sur l’amour de sa femme pour aller plus loin..

L’homme est resté fidèle à sa conversion de jeunesse dont vous lirez les lettres boulevsantes, à ses engagements, à son rêve de justice et de liberté, avec ce désir persistant de défendre les hommes à terre ou de se dresser au nom de la liberté comme dans l’affaire Kravchenko.

Voilà pourquoi ce livre s’intitule : l’avocat de la liberté.

Druon dit de lui : nous les fils de roi dont les pères n’étaient pas rois.

Un modèle pour les générations d’aujourd’hui.

Author: admin