Bonne nouvelle : Fruits & légumes paraît en poche.Immigré espagnol venu vendre sa soupe majorquine à Quimper, le grand-père du narrateur se fait une place dans le crachin breton. Son père n’a pas le virus des primeurs. La déferlante des hypermarchés entraîne la faillite de son petit commerce. Malgré les drames, les amours contrariées, le déclassement, Anthony Palou a l’élégance de la légèreté, de l’autodérision, l’art de ressusciter par les odeurs, les couleurs, un monde disparu : le village de Puerto de Soller, dans les Baléares, avant le tsunami du tourisme, avec ses ânes, ses Vespas, ses Seat 500, ses chats squelettiques. Les halles de Quimper, avant la déferlante des hypermarchés, avec ses grandes gueules, ses demi-grossistes, ses maraîchers, ses vieilles en quête de quelques fanes « pour le brouet du soir ». L’auteur croque les petites gens avec la bonté d’un Tchekhov, la drôlerie tendre d’un Pagnol. Construit en une galerie de tableaux, Fruits & légumes se déguste au fil d’impressions, d’anecdotes, autant de contes grinçants, comiques ou poignants. Même les huissiers ont « un certain côté poétique ». Ce styliste ultra sensible sait que « les souvenirs ont toujours quelque chose de complaisant et de répugnant : comme si on léchait la poussière ». Il mélange sur sa palette ironie et réalisme, à nous faire monter les larmes aux yeux. Le taureau de cinq cents kilos qui rechigne à entrer dans l’arène devient une métaphore annonciatrice de la fin du commerce de proximité sacrifié sur l’hôtel du profit. Un livre rare et inoubliable. Fabuleux, comme le dit Yann Moix.
En quoi vous sentez-vous breton ? Qu’aimez-vous en Bretagne ?
Je suis Breton avec quelques gouttes de sang pimentées espagnoles. J’ai au fond de moi quelques soubresauts de castagnettes, quelques nostalgies de l’arène. Je me sens Breton par embruns, varech, crabes, araignées, palourdes roses des Glénans, fou de Bassan, mouettes… Je me sens Breton, car j’aime l’odeur forte des marées. La méditerranée est une flaque qui m’ennuie un peu et Dieu sait si je l’ai pratiquée… J’aime le côté rogue, graniteux de la Bretagne. Cela dit, je ne pratique pas le folklore que je n’aime pas beaucoup…
Et puis comment ne pas dire un mot de Chateaubriand, l’écrivain à cheval entre deux siècles qui ouvre la porte du XIXe siècle. Ce fils de Rousseau est le père de Hugo, Lamartine, Vigny, le père du romantisme royaliste et catholique et, osons, le grand-père de Baudelaire, l’ancêtre de Barrès…
Les Bretons sont une diaspora. Pas besoin d’y vivre pour la sentir. Comme Pasteur s’est inoculé la rage, celui qui s’est inoculé la Bretagne bave, toute sa vie, d’écume…
Fruits & légumes est-il un roman autobiographique ?
Oui et non. Fruit & Légumes est une ratatouille. Pas d’autofiction chez moi, pas d’introspection, quelle horreur, ce ragoût de l’égo est si vulgaire. Si on veut parler du moi, c’est le Fellini de Amarcord ou de 8 1/2, si vous voulez. Même s’il parle de lui, l’artiste se doit d’être un menteur, c’est-à-dire un prestidigitateur. Un tricheur. Alors oui : le cadre de Fruits & légumes est vrai, mais le tableau qu’il renferme est miné. C’est un faux. Je suis le faussaire de ma vie. Il faut toujours travailler dans la fausse-monnaie. Nabokov : « La véritable biographie d’un écrivain, ce n’est pas le récit de ses aventures, mais l’histoire de son style. »
En écrivant Fruits & Légumes, je me suis rendu compte que le petit commerce avait été peu ou prou déserté par la littérature. Il me semble que Dutourd, ce dernier des Mohicans, fut le dernier à écrire là-dessus, c’était Au bon beurre. Alors, bien sûr, le petit commerce, tout de suite, quand on en parle, il y a ce côté étiqueté « poujado », etc.
L’histoire du commerce de fruits et légumes de votre grand-père et de votre père pourrait être celle de tous ces petits commerces obligés de fermer face à concurrence des hyper. Vous qui défendez les artisans, les petits marchands, que pensez-vous que la fin des commerces de proximité est pour bientôt ?
Les petits commerces furent en grand danger dès la fin des années 60 avec l’arrivée des hypers puis des supermarchés. Beaucoup d’entre eux ont dû baisser le rideau de fer, mettre la clé sous la porte. Regardez aujourd’hui certains villages, les bourgs saignés de leurs commerces de proximité. Mais, je pense que tout n’est pas perdu, j’ai l’âme optimiste, convaincu qu’il y a un sens de l’histoire, comme on dit, qu’on reviendra aux fondamentaux.
Vous avez été le secrétaire de Jean-Edern Hallier, quels souvenirs gardez-vous de lui ? Que vous a-t-il appris ?
La volonté de la volonté. Celle d’être celui qu’on doit être. Il avait tous les défauts, sans doute était-ce là sa principale qualité.
Vous sentez-vous proche de Bernard Frank ?
Frank avait le dos rond, le poil soyeux, la langue râpeuse. L’élégance et le style absolu, le raffinement, quoi. Il avait ce côté, comment dirais-je, ce côté imper froissé, ce côté mastic, Humphrey Bogart des lettres, très classe, très « Grand sommeil » qui, mine de rien, faisait la pluie et le beau temps. Il était l’esprit français, l’esprit et le vin, ce n’est qui n’est pas une petite chose, le Saint-Julien et le champagne, quelque chose entre Stendhal et Constant, Chateaubriand et Proust… Sa chronique du jeudi – celle du Monde puis de l’Obs – était notre gigot du dimanche.
Quels sont les romans que vous emmèneriez sur une île ?
Pas de roman. L’Évangile selon saint Jean.
Vos réalisateurs de cinéma préférés ?
Chaplin, Fellini.
La musique que vous écoutez en boucle ?
Josquin Desprez, Monteverdi, Vivaldi… et puis Monk, Trenet…
Si vous en aviez les moyens, quels tableaux achèteriez-vous ?
Je n’achète rien, j’admire et je conserve, en ce coffre-fort qu’est mon cerveau, peut-être Velasquez et Bacon, et tout Venise…
Que pensez-vous de l’enseignement de la philosophie ?
La philosophie se doit être l’enseignement de « l’apprendre à vivre » ». La philosophie se résume à très peu de choses, en fait : la théorie, la morale, le salut. À partir de là, il faut faire son marché, son panier. Soit on choisit la raison pour se sortir de cette embrouille, c’est-à-dire avec les moyens du bord, soit on s’en sort par la foi que, personnellement, je n’ai pas. L’homme est un macaque qui peut s’en tirer comme ça, en faisant un œuf à la coque, en faisant de l’art qu’il pense être le crime parfait.
Est-il difficile de s’abstraire de l’actualité quand on est chargé d’une chronique média quotidienne au Figaro ?
Non.
Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson (mai 2013)
© Photo : David Ignaszewski
Anthony Palou, Fruits & légumes, J’ai Lu, mai 2013, 124 pages, 5,60 €